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— Non, c’était l’aveu de ma reconnaissance et de ma tendresse. Vous ne saurez jamais le bien que vous venez de me faire.

Barrois allait répondre, mais Marken entra dans la serre et vint à eux. Jacqueline les regarda tous les deux. La vie avait fait sur leurs visages un travail révélateur, leurs fronts étaient l’un et l’autre griffés par son passage, et leurs traits avouaient les passions, l’effort, les grandes luttes meurtrières. Mais ce qui mettait entre eux une telle différence, ce n’était ni l’écart de l’âge, ni que l’un fût beau de cette obscure et volontaire beauté et l’autre insoucieusement laid : Barrois avait les marques de la fatigue longue, inscrites dans l’affaissement des modelés, le pli lassé de la bouche, et l’expression du regard ; Marken, avec ses tempes creusées où déjà ses cheveux blanchissaient, la force amère de sa lèvre mince et dure comme l’ourlet de marbre des bouches de statues et ses yeux éclatants et directs, avait l’air d’un vainqueur. L’un était la pensée repliée sur soi-même, silencieuse, secrète et lente ; l’autre, l’action éblouissante, rapide, irrésistible.

— Mon cher maître, commença Marken, sans paraître s’apercevoir de la malveillance qu’exprimait à son endroit toute la figure du savant, si vous avez eu l’espoir de monopoliser madame des Moustiers la soirée durant, je vous avertis qu’il faut y renoncer. Je sens bien que je risque de m’attirer son déplaisir, voire sa haine définitive, en troublant votre causerie ; mais, n’importe, à moins qu’elle ne me chasse, je m’installe.

Il prit une chaise. Barrois se leva avec un mauvais sourire, et dit :

— Je vous quitte la place. Aussi bien m’évitez-vous