Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/442

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

va sûrement trouver quelqu’un à dévorer si vous l’empêchez plus longtemps de causer avec moi.

Roustan se leva avec précipitation, et, rouge, ravi, les yeux riants dans son masque irrégulier, s’en alla, portant sa tête comme font les gens chez qui cette attitude permet aux médecins de diagnostiquer sûrement la folie des grandeurs. Barrois était assis à sa place, l’instant qui suivit.

— La nouvelle victime a l’air bien triomphal ! dit-il d’un ton équivoque.

— Cher ami, quand renoncerez-vous à cette manie de croire qu’aucun homme ne puisse me parler sans être amoureux de moi ?

— Il n’y a rien de maniaque dans l’habitude de constater des faits, répondit le chimiste. Tous les hommes sont ou seront amoureux de vous parce que vous êtes la charmeresse multiforme qui présente à chacun la figure de son rêve particulier. Je me demande pourquoi les gens vont criaillant que la vie est mauvaise, quand il y a des êtres tels que vous !

— Mais, dit Jacqueline d’un air moqueur, c’est qu’évidemment je suis seule de mon espèce, et la vaste armée des pessimistes se recrute parmi les infortunés qui ne me connaissent pas.

— Ça tombe sous le sens ! Dites-moi, goûtez-vous comme il faut ce pouvoir de dispenser la joie et d’augmenter le capital vie de tous ceux qui vous approchent ? Êtes-vous assez fière et assez heureuse d’être vous ?

— Pas très… Au contraire, j’ai une telle certitude de mon inutilité, un sens si net de mon néant !…

— Quelle folie ! Songez qu’il suffit que vous ayez