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Jacqueline lui sut gré de la longue phrase qu’il dit ensuite, à la louange du talent de Léonora. Elle avait besoin de se taire. Ces propos creux, mettant en fait divers banal le drame dont la peur et la douleur pesaient sur elle, l’avaient écœurée presque physiquement. L’aboutissement de tout l’essentiel, de tout le terrible de la vie à quelques paroles distraites prononcées autour d’une table où on dîne, parés et indifférents, lui apportait l’aride certitude de la vanité des violences, de l’inutilité des larmes. Les épouvantements, les spasmes des consciences, la torture des cœurs en peine, tout cela sert à alimenter cinq minutes la conversation des oisifs qui oublient avant que l’air ait cessé de bouger au bruit des mots qu’ils disent. Pourtant ces gens-là et leurs pareils, qui semblaient ignorer toute douleur, ne pouvait-on pas les faire, eux aussi, crier de désespoir et maudire l’existence ? Leur odieuse insensibilité était-elle invincible ? Les vaincre ? oui ! Erik avait eu tort de croire que la peur fût le seul moyen ; il en était un autre plus fort et plus sûr, de les tenir, de les dominer : le succès. C’était Marken qui avait raison ! Tous ces mondains qui essayaient leurs pauvres ironies incompréhensives sur des êtres dont ils ne pouvaient deviner la grandeur, c’était le peuple vain à pensée légère, à égoïsmes durs et faibles sur quoi il fallait mettre la main, dont il fallait remuer et contraindre les cervelles vides, auquel on pouvait apprendre un langage et dicter des passions…

On se levait de table. Jacqueline prit le bras de Marken d’un mouvement dominateur.

— M’accorderez-vous quelques instants, dit-il.