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tendu. L’amour, voyons, ça ne vit que des crasses qu’on se fait mutuellement et du pardon qu’on s’accorde parce qu’on ne se comprend pas.

— Je crois que vous vous trompez, madame : c’est parce qu’on se comprend mieux, au contraire, que le mal qu’on s’est fait rapproche… On tient davantage aux êtres qu’on aime lorsqu’on a été blessé par eux ; les blessures donnent le sentiment juste de l’importance qu’a celui ou celle qui les fait. La souffrance est une lumière à laquelle nous lisons notre secret et celui d’autrui. Les grands sentiments ne prennent conscience d’eux-mêmes que dans la colère ou la douleur.

— C’est bien démodé, les grands sentiments, dit M. d’Audichamp.

— Je ne le pense pas, cher monsieur, riposta Marken. Cette époque-ci, au contraire, est merveilleusement passionnée ; et ce pays-ci, en particulier. Voyez quelle ardeur on apporte aux luttes politiques. Or, sachez-le, l’intérêt véhément pour la chose publique, la force de la haine, et le développement de cette sauvagerie qu’est l’esprit de parti, tout cela coïncide avec une puissance égale d’exaltation amoureuse. La sensibilité ne vibre pas sur un seul point. Être en violence à propos de quelque chose, c’est avoir de la violence prête pour tout, car tout se tient.

— Vous avez peut-être raison, dit Barrois ; en tout cas, la théorie est tonifiante.

— Ce n’est pas une théorie, reprit Marken en s’animant. Regardez et écoutez autour de vous, cela vaut la peine, et les signes sont multiples de la violence universelle qui cherche ses routes. Les grèves,