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puis deux heures avaient amassé ; sa vitalité s’exaspéra un instant, elle se crut très forte.

Mais, en entrant dans le salon, l’atmosphère chaude, une pesante odeur d’azalées, la lumière, le bruit des voix, et surtout la vue des visages connus et le sentiment de la continuité indifférente des formes banales de la vie, attaquèrent sa sensibilité si durement qu’elle eut un spasme au cœur ; les choses tournèrent devant ses yeux, les bruits devinrent confus, elle pâlit au point que son rouge marqua sur sa figure comme une tache. Elle s’arrêta un instant, hallucinée par le souvenir, crut entendre la sonate de Franck jouée par Léonora et la voix d’Erik disant son lamentable amour ; puis elle se rappela qu’il faisait froid dehors, très froid, et que le vent devait souffler aigrement sur la tombe qu’on avait fermée le matin. Elle sentit qu’elle n’aurait pas la force de parler à tous ces gens, d’être pour eux la femme qu’elle était la veille ; elle voulut s’en retourner, aller ailleurs, n’importe où, céder librement à la syncope.

— Chère petite, que vous est-il arrivé ? Il est huit heures dix, nous mourons de faim ; on a déjà emporté du monde sur des brancards, les grouses seront calcinées… Avez-vous été tamponnée en route par un tramway ?

C’était madame d’Audichamp qui se précipitait sur elle, cordiale et fâchée.

Jacqueline répondit d’un ton vague, faisant des excuses ; elle entendait sa voix avec surprise ; était-ce elle qui disait tous ces mots vides de sens ? Allait-elle tomber sur le tapis, ou crier sa douleur de toute la force qui lui restait ; enseigner à ces gens qu’il y a