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— Pauvre Jacques ! Mais non, tu es de l’heureuse race des vainqueurs, qui sont forts de l’ignorance d’eux-mêmes ! Si l’illusion que tu donnes est si active, c’est que tu la partages. À te connaître, tu perdrais en partie le don de te faire adorer… Ce serait fâcheux !… Ça m’amuse de me rappeler l’admiration que tu m’inspirais jadis… Quelle sottise !… J’aurais pourtant dû te deviner ; c’était facile. Quand d’où je suis je regarde les petites histoires de ta vie de fillette, je t’y trouve tout entière… À quinze ans, tu étais déjà l’éternelle désireuse qui jamais ne réalise, la curieuse de ce que cachent le rideau baissé, la porte close… Et, te souviens-tu ?… je t’appelais mademoiselle Projet… Que de choses tu devais toujours faire le lendemain, des réformes de caractère, des abatages de travail… Je me moquais un peu – oh ! bien peu ! — de la ferveur de tes résolutions ; au fond de moi, j’y croyais… Je croyais à toutes tes paroles !… Je vois encore les six mois pendant lesquels tu t’es destinée à la carrière de la sainteté. Quelle belle ardeur !… Après ça, tu as cru à ta vocation de pianiste ; tu faisais quatre heures de gammes chaque jour et tu ne mettais plus les pieds à la chapelle… Et, tiens, je me rappelle aussi cette manie — tellement significative ! — que tu avais de toujours fixer au premier jour du mois suivant les débuts d’une vie complètement différente par l’acte et le vouloir, et, bien entendu, toute de perfection… En ce moment même, où tu as l’air attentif et malheureux et passionné — un air qui te va délicieusement, tu peux m’en croire ! — je suis sûre que tu n’entends presque rien de ce que je te dis, et que tu es occupée à bâtir un système d’existence qui datera de notre