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vivre selon la norme, d’employer l’ardeur de son cœur à l’amour de quelques êtres, on a voulu aimer l’humanité, on s’est faussé soi-même avec de grands mots généreux ; puis, sous la poussée d’une douleur, d’une indignation, on se jure la vengeance et le sacrifice… oui, on veut venger toute la race des martyrs que fait l’égoïsme, et qu’on a vu supplicier dans la personne d’un être cher, comme les premiers chrétiens avaient vu tuer toute la tendresse humaine sur le Golgotha. On prend vis-à-vis de soi-même une attitude de justicier… Puis, à mesure que l’on comprend davantage combien l’effort était inutile, et que d’ailleurs on n’était pas digne de le tenter, on s’y acharne plus âprement ; on se dit que c’est plus noble, plus pur de donner sa vie pour une cause à laquelle on ne croit plus, qu’on sera plus grand à demeurer le captif d’un serment, qu’on ne l’était en suivant l’impulsion d’une colère ou d’une conviction… On perd tout contact avec la réalité, on pose pour soi même… Puis on rencontre une circonstance… un être qui bouleverse toute cette construction illusoire… On avait accepté de mourir, on veut vivre… ah ! tellement fort !… Si on était appuyé sur la raison, solide sur ses pieds, on résisterait ; mais non, on s’est accoutumé à vivre dans la chimère, on n’a plus rien pour s’accrocher, on oscille, la tête vide, sur les sommets branlants de l’orgueil… L’appel est trop puissant, le mirage trop beau ; il faut qu’on tombe. Il faut, comprenez-vous ?… Alors les sophismes commencent leur travail ; il sort des voix insidieuses du découragement, de la faiblesse ; on appelle ça bonté, pitié, on entend en soi des avis astucieux qui conseillent de respecter la vie d’autrui, quel qu’il soit.