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de Marken et Jacqueline fut toute envahie d’un plaisir fier. Sa jeunesse, la beauté des choses qui l’entouraient, la couleur du jour, le parfum de sa toilette lui devinrent sensibles et grisants.

Madame d’Audichamp et madame Steinweg accaparèrent Marken, et, l’une à sa droite, l’autre à sa gauche, l’accablèrent de questions désordonnées.

Jacqueline marchait à quelque distance et seule. Ce groupe familier, qui allait devant elle, lui paraissait concrétiser, avec cette éloquence nette qu’ont les faits, l’instabilité palpitante de la vie et ce travail qu’elle opère sur les volontés, les convictions, les événements, comme un maître retouche le dessin hésitant d’un élève. Elle sentait que tout bouge incessamment dans les êtres et autour d’eux ; que vivre, c’est changer perpétuellement ; que rien n’est fixe, et qu’être telle et être là impliquait pour elle comme pour tous l’inéluctable nécessité d’être différents et d’être ailleurs dans la seconde suivante. Elle comprenait l’absurdité de vouloir se raidir dans une attitude définitive. La désagrégation et la reconstitution incessantes de tout, idées, sentiments, conditions, apparences, s’affirmaient. Ce renouvellement perpétuel, cette magnifique et féconde incertitude, au lieu de la troubler, l’affermissait dans sa conviction que chacun a droit à parachever son développement en se reniant lui-même pour subir la loi de l’heure. La seule obligation qu’on ait envers soi et envers autrui, c’est la sincérité ; elle avait été sincère en prenant Léonora pour la force, Erik Hansen pour la logique, André pour la passion ; sincère, en méconnaissant Marken ; tous les termes du problème étaient déplacés et main-