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— Non, vous ne vieillirez pas. Et je vais vous dire pourquoi. Vos yeux ont reflété tant de regards de femmes éprises que nulle ne pourra jamais y aller voir sans risquer de perdre un peu la tête… Ce sont des étangs perfides, pleins de noyées qui appellent les passantes.

— Mauvaise !… Vous pourrez bien vous y regarder sans risque, dans mes pauvres yeux.

— Mais, André, au contraire, j’y risquerais infiniment… si je m’y risquais… Aussi… Je ne voudrais pas aventurer notre amitié, à quoi je tiens tant… Vous souvenez-vous combien j’ai été insupportable et ridicule avant de savoir quel ami exquis j’avais en vous ?

— Oh ! non, je ne vous ai jamais trouvée ridicule, il s’en faut ! Même, je vous avoue que votre méchanceté est un de mes chers souvenirs. J’ai eu la mégalomanie d’imaginer que vous m’aviez aimé passionnément, et je ne renoncerai pas volontiers à cette idée là. Je vous suis reconnaissant de cela presque autant que du bonheur que vous m’aviez donné. Et puis…

— Et puis ?…

— J’ai compris qu’il appartenait à la femme unique que vous êtes de créer entre nous ce sentiment d’amitié trouble, à base de désir de ma part — ne vous y trompez pas — et fait chez vous d’indulgence, de souvenirs, et, par moment, d’un peu d’émotion, qui met dans ma vie une saveur extraordinaire.

– De sorte que vous êtes content ainsi ?

— … Oui, avec la pointe d’amertume nécessaire à toute jouissance fine… Et vous, êtes-vous contente ?