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rejoignit ; ils s’embrassèrent durement, les dents cruelles, mettant l’un et l’autre dans ce baiser l’amertume et l’angoisse du regret. Jacqueline ouvrit la porte et s’en fut seule par les couloirs.

En chemin, elle subit les mines insolentes des domestiques qu’elle rencontrait. Nul de ces gens n’avait un doute sur la récente aventure d’une femme qui, venue là à midi, s’en allait à cinq heures, pâle, pensive et lasse. Le commentaire grossier qu’elle percevait revivifia sa fierté. Ces valets n’étaient pas seuls inaptes à deviner la beauté des moments qu’elle venait de vivre. Qui donc eût admis qu’elle sortît pure d’un pareil risque ? C’était ainsi pourtant ! À cause de l’orgueil d’elle qu’il lui donnait, elle aima Étienne avec un mouvement passionné de tout l’être, et se résolut à lui dire une parole définitive qui engagerait son avenir. Mais lorsqu’il parut, quelques instants plus tard, dans le hall désert, elle ne dit pas cette parole, tant elle fut distraite par l’étonnement de le voir si différent de l’homme qu’elle venait de quitter. Il avait retrouvé l’expression de sécheresse insolente qu’il gardait dans les milieux hostiles où sa combativité se tenait en éveil. La bouche dure, le regard encore brillant des larmes récentes, mais chargé d’ironies hautaines, disaient la reprise de soi d’un être qu’on peut troubler, mais qu’on ne vainc pas. Sourdement inquiète, Jacqueline le laissa appeler un fiacre qui passait dans l’avenue, et y monta, ne sachant que dire.

— Vous rentrez chez vous, je pense ? demanda-t-il d’un ton bref.

— Oui… et vous ? Où allez-vous ?