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l’épouvante et où le baiser doit avoir le goût de la mort.

Le bouton avertisseur travailla, le garçon pareil au destin ironique reparut et produisit avec de grands efforts un cliquetis terrible de couverts et de porcelaines. Il versa de haut le champagne dans les verres, servit l’entrecôte, parut stoïquement décidé à ne faire aucune des cent questions qu’il avait dans la tête et, saisi par la soudaine conscience d’un devoir lointain, s’échappa avec un envolement des basques de son habit.

– Si nous parlions politique ? dit Jacqueline.

Prompt à comprendre, Étienne épilogua sur des sujets indifférents. Le malaise de Jacqueline s’accrut ; elle y appuya sa pensée pour mieux enfoncer en elle sa détresse singulière. Écoutant à peine Marken, elle se répétait : « C’est bien la vie ». La vie… ce mot qu’on dit, la voix chargée de lassitude et comme si, en le prononçant, on donnait à la douleur son véritable nom. La vie qui heurte de ses grossières réalités les frêles constructions d’ardeur et d’espoir où l’âme humaine voudrait se réfugier. C’était la vie, ces entrées du garçon blême portant l’entrecôte Bercy et le champagne, au moment où elle commençait à croire qu’elle était aimée selon le rêve que, moqueuses ou tendres, elles font toutes. C’était conforme à la vie encore, cette aisance avec laquelle Étienne quittait le ton pathétique pour causer allègrement. Son exaltation si tôt transformée disait la parfaite maîtrise de soi. On ne reprend pas ainsi son calme lorsqu’on a le sang et le cœur troubles.

Elle coupa sa phrase.