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rendez-vous pour déjeuner », Mais personne ne vint lui offrir l’occasion d’affirmer son mépris de l’opinion. Étienne reparut, s’excusant d’avoir trop tardé, et lui enseigna le chemin. Elle retrouva dans les yeux du petit bonhomme qui manœuvrait l’ascenseur la même expression de gouaillerie qu’elle avait vue à ceux de l’ouvrier. Ce mioche érudit ès-mœurs parisiennes avait coutume de monter des dames qui venaient déjeuner avec des messieurs en cabinet particulier, il savait à quelles fins. Mais ce qu’il ignorait, le petit bonhomme, c’est que cette jolie dame-ci n’était point comme les autres et qu’elle pouvait tout affronter, étant sûre de tout vaincre. À se sentir incomprise du boy de l’ascenseur elle eut l’agréable certitude de circuler dans un beau mystère.

Ils traversèrent des couloirs, une porte s’ouvrit et Jacqueline, de son allure calme et hautaine, entra dans une pièce décorée de pâtes Louis XV, meublée de fauteuils et de canapés en damas groseille et bois doré ; au milieu, une table hideuse, incrustée de cuivre et d’écaille, un lustre en cristal au plafond, et sur la cheminée une pendule où des Amours se livraient à de paradoxales gymnastiques. L’endroit était sans âme et d’une complète décence. Les canapés semblaient n’avoir jamais eu d’autres fonctions que d’attendre les sacs de voyage qu’on jette d’un mouvement fatigué lorsqu’on descend des trains, nulle mémoire ne dérangeait l’impassible anonymat des apparences.

Le déjeuner fut long à ordonner ; Marken mettait à consulter Jacqueline sur chaque plat cette insistance que les hommes considèrent comme une marque de dévouement et qui ennuie si merveilleusement les