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d’ignorer que la musique de Wagner fut d’abord « métaphysique » et ensuite « vireuse ». Il est fort indigné qu’on ne joue pas Tristan cette année… Sa confiance étant sans bornes, il a bien voulu nous apprendre que, lorsqu’il écoute le grand duo du second acte, il éprouve d’une façon complète tous les agréments de l’amour. La musique, au contraire de l’effet qu’elle produit sur madame Steinweg, lui met les yeux hors de la tête… D’ailleurs ils sont fort bien, ses yeux, même dans les moments où on peut craindre de les voir tomber sur ses bottines…

– Moi, je le trouve absurde, dit sèchement M. des Moustiers, mal élevé, et poseur comme pas un !… Avez-vous rencontré les Castenay, Jacqueline ? J’ai causé un moment avec eux… La bêtise des gens s’exaspère ici. À Paris, on peut échanger une vingtaine de phrases avec Castenay sans avoir envie de le tuer, mais à Bayreuth !… Ils ont amené un mioche, dont madame Castenay garantit la précoce passion pour la musique, il paraît qu’il a dit sur l’Or du Rhin des mots d’une profondeur déconcertante… Le pauvre moutard, entendant qu’on parlait de lui, a lâché son nez dont il s’occupait avec ferveur et, désireux de justifier l’admiration de sa bonne mère, m’a demandé : « C’est un ours pour de vrai, s’pas, m’sieu, qu’il tirait par une corde, le grand en chemise ? » Il fallait voir la figure de madame Castenay… Ah ! la fanfare ! Venez-vous ?…

Jacqueline suivit son mari et madame Simpson, qui, relevant sa jupe avec un mouvement d’une élégance volontairement étriquée, marchait en avant, le ventre effacé, la gorge tendue, à demi souriante et