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abîmes, les nuages du ciel fuyaient. La lueur des phares trouait la nuit d’une courbe jaune autour de laquelle les ténèbres s’épaississaient. Les paysages couraient, pareils aux rayures d’une étoffe ; sur le sol, un caillou, une paille s’éclairaient un instant comme des fragments précieux, et le chemin semblait tiré en arrière par une force énorme et vertigineuse. Le poids de l’air plaquait au visage comme un masque gelé, vibrant, que rien ne semblait devoir détacher jamais. Jacqueline éprouvait que cette vitesse qui l’emportait, ce n’était pas un phénomène extérieur à elle, mais une manière d’être surhumaine de sa volonté devenue mouvement, et que, s’ils allaient ainsi, c’était menés par son front appuyé au vent, par ses mains contractées, par son cœur qui se précipitait et par le tourbillon de son sang.

— Plus vite ! dit-elle à travers ses dents serrées.

Elle eut alors l’impression que toutes les silhouettes étaient des lames qui taillaient l’espace. La Seine apparut un moment sous la lune, limpide comme une source vive, puis disparut. Le ciel se purifiait de ses nuages, l’atmosphère était pareille à un cristal mince, les étoiles très blanches, pas une buée, tout était net, coupant, éperdu. Les formes éloignées se rejoignaient en fraternelles arabesques. Il devenait sensible, dans la communion oscillante de tout, que la volonté secrète de la nature relie par une analogie mystérieuse le dessin de l’arbre à celui de la colline. Et Jacqueline, l’esprit surexcité, songeait, avec un plaisir d’éthéromane prêt à saisir le sens caché des grands problèmes, à cette identité qui rapproche les choses diverses ; à ce jet unique du génie créateur qui emploie une intention