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saient ; le violoncelle haletait l’agonie des corps tombés qu’on foule ; puis, à l’appel irritant du cymbalon, tous les instruments réunis en une colère renouvelée s’attaquaient encore, se pénétraient à la manière de couteaux tranchant la chair. Cela disait la brutalité triomphale, le rire frénétique du meurtre, une volupté trop forte, la mort suspendue au-dessus d’un plaisir surhumain ; puis soudain la plaine était vide, la horde avait passé, on entendait la rumeur confuse de sa fuite déjà lointaine et rien ne restait plus que la plainte lente et nostalgique d’un cœur trop lourd de désir. La phrase calmée insistait, traînante et molle, se rompait au contact de l’impossible, courbait les replis de son gémissement inapaisable, se redressait soudain acharnée et brûlante, retombait en interrogation fiévreuse. Était-ce la peine de vivre ? existait-elle, cette joie sans pareille dont l’universel désir fait sangloter la terre dans les nuits d’été ?…

Jacqueline, pâlie d’angoisse, se tourna vers Étienne. La rencontre de leurs pensées fut si violente qu’elle baissa les paupières et qu’il détourna la tête… Au galop, fauchant, écrasant la route, la horde revenait par la plaine aux mirages, plus vite, plus vite encore, plus haut, et tous les instruments réunis criaient de la suprême énergie de leurs voix la conquête définitive d’une joie vaste comme la mort. Et Jacqueline sentit que cette minute de rage et de volupté emportait son vouloir, l’éparpillait dans un tourbillon de rire, de pleurs, d’espoirs, de cris et de plaisir.

Cela s’interrompit d’une saccade ; il fit froid, morne et sombre dans la tiède pièce claire. D’un signe, Marken appela le chef d’orchestre et, du bout de sa main