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mangeant à l’heure de nones, alors que, lorsqu’il vivait dans le monde, il ne mangeait qu’à l’heure de vêpres. Stupéfaction scandalisée de l’ami, qui aimait à voir les autres se macérer dur ; explication du saint homme : il avoue qu’il n’avait pas besoin de manger, lorsque les louanges qu’on donnait à ses austérités soutenaient son courage, mais qu’au désert, personne n’étant là pour s’écrier d’admiration, il n’est plus aidé par rien et doit satisfaire son estomac… Que dites-vous de l’histoire, monsieur Marken ? Elle est probante, je pense !

— Elle est charmante, madame, et on n’y saurait répondre. Il est parfaitement exact qu’on ne fait rien de grand ni de difficile que pour conquérir l’admiration. La façon la plus certaine de classer les esprits avec justice consisterait à les diviser en deux catégories : ceux qui veulent étonner la foule, et ceux qui ne souhaitent l’admiration que d’un seul être.

— Et, dit madame d’Arlindes, il est aisé de voir d’après votre accent que c’est à la seconde catégorie que vous appartenez.

— Sans doute, madame ; on n’est jamais désintéressé. Les hommes qui me racontent qu’ils ont usé leur vie à faire triompher une idée pour le pur amour d’elle me touchent, car j’aime les illusions, mais ils ne me persuadent pas, et je cherche volontiers l’intérêt particulier qu’ils ont à ce que cette idée-là fasse son chemin. Il faut un moteur à toute ambition et il n’en est pas de plus puissant que la conquête de l’esprit d’une créature élue.

— Vous admirez le politicien qui, pour amuser une jolie femme renverse le ministère ?