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— Comme c’est ennuyeux à penser ! dit Jacqueline ; on aimerait tant à savoir que ce qu’on sent n’a jamais été senti !

— Il faut se contenter de l’espoir que cela ne l’ait été que rarement ; et on peut croire cela quand on a la certitude d’être par quelques points un peu exceptionnel.

– L’exception, l’excentricité, c’est le désordre, proféra M. d’Audichamp. J’espère bien que vous n’êtes pas partisan du désordre ?

— Oh ! si, cher monsieur, tout à fait. Je suis partisan du martyre, du sacrifice, des grandes passions, du génie, de tout ce qui rompt la norme.

— C’est absurde, s’écria madame d’Audichamp, abandonnant une aile de faisan dans un accès d’indignation gaie ; ces grandes affaires-là détraquent tout et d’abord elles mettent tout le monde de mauvaise humeur. J’admire les martyrs parce qu’on m’a appris que c’est une chose à faire et puis parce que je ne les ai pas connus personnellement. Mais je sens que, si j’avais été leur contemporaine, ils m’auraient agacée à la fureur. C’est si intolérable de voir des gens se donner des airs parce qu’ils font des choses dont on se sait incapable !

— Mais le sacrifice, maman, dit madame de Lurcelles, on est toujours un peu capable de ça.

— Laisse-moi donc tranquille ! C’est de la pose pour étonner la galerie. N’est-ce pas la sœur de Pascal, il me semble, qui raconte cette bonne histoire d’un homme qui, après avoir étonné les populations par les mauvais traitements qu’il s’infligeait à lui-même dans une sainte intention, s’était, pour finir, retiré dans un désert. Un de ses amis va le voir, le trouve