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Jacqueline, assise à côté de Marken, ne lui parlait pas. De temps à autre, ils se regardaient. Une irritation vint à madame des Moustiers contre ces gens ; elle aurait voulu causer librement avec lui et qu’ils fussent seuls.

Un âpre coup d’archet venait de déclencher l’orchestre. Une grosse phrase lente et sombre se tordait lourdement aux cordes basses des instruments ; elle prophétisait un drame d’inquiétudes et de déchirements, hésitait, défaillante, puis, modifiée dans le sifflement ascendant d’une arabesque, elle s’épanouissait en un rythme de valse, voluptueux, suspendu et qui battait un rythme de cœur oppressé. La phrase montait, claire et mince comme un jet d’eau, retombait mortellement blessée et sanglotait tout bas un secret aux notes profondes du violoncelle.

Jacqueline, accoutumée à ces musiques équivoques que l’on entend dans tous les restaurants du Bois, s’étonna d’y avoir, ce soir-là, les nerfs si complaisants. À travers la fenêtre ouverte, elle regardait dans la nuit. Un grand arbre dressé sur la pelouse et qui laissait pendre de paresseuses vignes vert-de-grisées par la lumière, paraissait marquer la limite entre les féeries nocturnes, le monde de l’impossible aventure, et les gens qui dînaient dans le réel et la gaieté. Au point où s’attaquaient la lumière et l’ombre, des géraniums brillaient d’une ardeur étrange de regards avides. Au fond, c’étaient des obscurités de velours, d’huile et de goudron, parmi lesquelles pâlissait le ruban de la grande allée, animée parfois d’un point de feu cursif par le lampion d’une bicyclette. Le silence extérieur qu’on entendait dans les courts instants où