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avec lui. Elle sentit qu’il apporterait dans sa vie une prudence et un souci de ne pas la compromettre plus forts même que son désir de se rapprocher d’elle.

Pendant tout le trajet, elle eut une agréable impatience de le revoir, et, rentrée chez elle, changea de toilette si vite, qu’à sept heures moins dix elle était prête. Elle fit chercher un fiacre, mais, arrivée près du lac, elle songea qu’elle serait la première au rendez-vous et que cela aurait mauvais aspect ; elle fit arrêter la voiture, descendit, donna au cocher l’ordre d’aller l’attendre à la Croix-Catelan et prit à pied un sentier. Le jour baissait rapidement ; elle entendit des bruits furtifs dans les taillis où elle s’enfonçait ; la nuit, en ressaisissant la forêt mondaine, lui restituait son âme sauvage et délivrait les phantasmes et les bêtes que le jour retient. Jacqueline se sentit entourée d’occultes présences, en contact familier et voluptueux avec l’obscurité, et s’amusa de n’avoir pas peur. Le courage physique lui paraissait une élégance ; elle prenait plaisir à vérifier le sien. On marcha derrière elle dans le taillis ; au lieu de se hâter, elle ralentit le pas, attendant l’aventure dangereuse peut-être, car ce coin du bois était parfaitement solitaire, et la nuit presque close. Le pas se rapprocha et un homme sortit du fourré tout contre elle. C’était un garde. Dans le peu de clarté qui tombait du ciel il l’examina et, devinant quelque chose de sa situation sociale aux dimensions de son chapeau et au manteau de dentelles pailletées, il dit :

— Vous avez tort de vous promener toute seule comme ça, madame ; ce n’est pas sûr ; il y a de mauvaises gens souvent par ici.