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de ses analyses. La pauvre fille était un peu folle ! Elle avait cru à la double vue de l’abbé Werner, lui avait vu une auréole autour du front dans les moments où la musique lui donnait des crises d’hypnose. C’était elle qui avait imaginé la culpabilité d’Erik, ce soir de l’attentat, et ce qu’elle avait raconté ensuite c’étaient autant de constructions de son esprit déréglé. Jacqueline conclut que peut-être Erik avait eu, en effet, le désir de la revoir, mais que c’était la dernière manifestation d’un amour déraisonnable et sans racines profondes. Son départ prouvait qu’il avait compris que cette rêvasserie devait finir là. Rendu à la raison et au calme, il revenait dans son pays pour n’en plus bouger. Elle songea avec un peu d’ironie à ces paroles qu’il avait dites : « Eussiez-vous perdu votre jeunesse, votre beauté fût-elle effacée… » Quelle absurdité ! Est-ce qu’on aime de la sorte, même lorsqu’on est Norvégien ? Et, du reste, qu’espérait-il lorsqu’il admettait la possibilité qu’elle revînt vers lui, amoureuse ? Qu’avec de grosses semelles et les cheveux coupés court elle irait en sa compagnie évangéliser des moujiks ou des mineurs… Pour arriver à quoi ? On n’est utile qu’aux êtres d’une culture analogue à la sienne. Comme sa mère avait raison — elle le comprenait enfin — de dire qu’il faut s’employer à la place où le sort vous a placé. Mais encore faut-il s’employer. Elle sortit de la longue songerie où l’avait mise la lettre de Léonora pleine d’un grand désir d’activité, et se mit à l’exercer, sans plus attendre, sur les habitants du village dont les toits de tuiles roses bordaient son parc.