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elle conforma son esthétique à celle de l’Église qui sait plus de gré à ceux qui vainquent les tentations qu’à ceux qui ne sont point tentés, et du fond de son ennui jugea que Marken était en somme une manière de héros, non de la vertu peut-être, mais de l’intelligence. Sa réponse, qu’elle avait commencée sur un carton, continua sur une feuille de son plus grand papier, car, le carton rempli, elle se trouva avoir tant de choses à dire encore que les quatre pages furent couvertes. Même elle eut la tentation de prendre une autre feuille pour y noter une idée drôle qui lui vint à propos des tardives infidélités que M. d’Audichamp essayait de faire à sa femme ; mais elle ajourna cette bouffonnerie, se disant que Marken écrirait encore et qu’elle aurait d’autres occasions. En effet, il répondit par le courrier suivant. Elle avait, à propos du livre anglais, énoncé son opinion quant à la peur et au danger, dont elle jugeait la recherche inutile. Il réfutait vivement une telle opinion et démontrait sur le mode lyrique les bénéfices du risque qui alimente les forces psychiques comme l’exercice amplifie les muscles. Jacqueline aperçut tout ce qu’il y avait à dire de raisonnable sur la dépense vaine de soi-même que constitue le goût du danger ; elle eut envie de développer sans attendre le thème qui s’offrait, mais décida que trop de précipitation encouragerait Marken à croire que ses lettres plaisaient plus qu’il n’était exact qu’elles fissent. Pourtant, le lendemain même, reprise d’insomnie, elle mit son pupitre sur son lit et, d’une plume qui se hâtait, griffonna huit pages qui l’amusèrent lorsqu’elle les relut ; après quoi, elle s’endormit sans chloral, la conscience en repos.