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l’angoisse, l’amour qui trompe, l’œuvre qui avorte, il faut toujours aboutir à la douleur, à quoi servent ces misérables tentatives, pour réaliser un peu de bien.

— Ah ! je n’en sais rien, dit Léonora avec découragement. Nous sommes de pauvres êtres…

D’un geste impatient, elle se dégagea du bras qu’en parlant Jacqueline avait remis autour d’elle. Puis, consciente de ce qu’il y avait d’antipathique dans ce mouvement, elle y chercha un prétexte, alla au petit bureau et prit le journal d’un air d’intérêt soudain.

Jacqueline était fatiguée ; elle revint à la chaise longue et s’étendit de nouveau, les deux mains croisées derrière la tête, regardant distraitement la mule en drap d’or qu’elle faisait danser au bout de son pied, et qu’une lueur animait par instants.

Le petit salon était peu éclairé ; Léonora, assise devant le bureau, avait allumé une lampe électrique. Jacqueline, levant les yeux, examina la jolie silhouette de son amie, qui, pesant sur ses deux coudes, lui tournait le dos, sa taille étroite, ceinturée avec précision, la fine attache ronde des bras, sensible sous l’alpaga noir de son boléro, puis, au-dessus de la ligne dure du col blanc, l’énorme chignon d’un luisant de plumes : quelle forme exquise d’énergie délicate, quelle beauté dans chaque détail de cet être singulier ! Que se passait-il dans sa tête ? de quelle douleur inavouée avaient jailli les paroles de tout à l’heure ? L’attention de Jacqueline se faisait plus profonde et tout à coup elle fut frappée par l’immobilité absolue de Léonora. Mademoiselle Barozzi ne lisait évidemment pas le journal qu’elle avait posé, ouvert en deux, devant elle ;