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fade des heures de l’enfance l’opprima. Ses camarades de couvent faisaient autour d’elle un murmure fastidieux de récréation, un pépiement de volière ; à peine dans la troupe confuse distinguait-elle la mince figure pensive de Léonora, ses cheveux en nattes énormes et bien lissées, le cordon bleu des enfants de Marie coupant son corsage. Tout à coup, sans comprendre d’où venait l’acuité extraordinaire de ce réveil de mémoire, elle vit sa mère ; et, comme la fée qui au théâtre écarte d’un geste impérieux les gnômes et les génies d’un ballet, cette image demeura seule en elle, au milieu d’un grand silence.

Jacqueline n’avait pas eu avec sa mère cette intimité passionnée qui est un des modes de la sensibilité contemporaine, et la mémoire ternie qui lui en restait n’occupait pas les premiers plans de sa vie. À la revoir si exacte elle éprouvait la même surprise effarée qui l’avait secouée en entendant tout contre son épaule, Léonora Barozzi l’appeler par son nom.

Une tendresse frissonnante et douloureuse, une grande pitié couraient en elle, l’épuisant d’une faiblesse pareille à celle qui accompagne la reprise de conscience après les syncopes : « Pauvre maman ! » ses lèvres remuèrent comme pour prononcer cela. Mais de quoi plaignait-elle ainsi sa mère à demi oubliée ? De cet oubli, dont tout à coup elle avait honte, ou d’autre chose encore ?…

Elle examinait l’image soudain rafraîchie et vivante de cette disparue dont, peut-être, elle tenait des instincts jusque-là ignorés. Elle se forçait à retrouver les traits bien rythmés, l’attitude contenue, la taille longue, le geste énergique et resserré qu’avait eus