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vit en province maintenant. C’est monsieur Werner qui a procuré au petit le moyen de commencer ses études d’art. Il a bien travaillé : il fait vivre sa mère. Je crois qu’il aura du talent. Je ne savais pas qu’il s’occupât à suivre les femmes… Mais c’est peut-être son début dans cette jolie profession. Il n’aura pas pu résister à ton invincible charme !

— Sais-tu, Léo, dit Jacqueline d’un air pensif, que, lorsque tu me parles, ce n’est plus, par moments, ta dureté habituelle que j’entends dans la voix, mais de la haine !

— Quelle folie ! Pauvre Jacques, à quoi penses-tu ? Voyons ! Tu sais bien, ça m’agace tant, que tu ne puisses pas renoncer à ce tic de conquérir les hommes, de les troubler !

— Conquérir ! Troubler ! Ah ! dieux ! comme tu te trompes ! Je ne suis pas loin de mépriser l’amour autant que tu le méprises.

— L’amour n’est pas méprisable en soi, mais bien l’usage qu’on en fait.

— Ma chère vieille, dit Jacqueline avec un petit rire, il n’y a pas plusieurs façons d’user de l’amour !

— Si… Quand on l’éprouve avec violence, en désespoir et non en joie, qu’on y résiste, qu’on n’accueille même pas l’idée de le réaliser, on le transforme en principe de force et en noblesse.

Jacqueline souleva sa tête pour regarder son amie. Léonora n’eut pas conscience de ce mouvement de curiosité : elle avait les yeux fixes ; on l’eût dite concentrée sur quelque travail intérieur où toute sa volonté s’employait ; sa figure souffrante et absorbée avait l’expression tragique qu’on voit aux grands ma-