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driez vous asseoir. C’est haut d’monter ici, pour des dames surtout.

Elle s’était levée péniblement et débarrassait la seconde chaise où voisinaient un poêlon graisseux, un bout de fromage, un bas troué et le Petit Journal. Jacqueline déclina la courtoisie de la proposition, et, s’efforçant d’être cordiale, s’enquit de la situation de la vieille femme.

Madame Gambier s’épancha sans retenue en explications infinies, où sa biographie contradictoire et anachronique tenait une place importante, mêlée à des vues acerbes sur la dureté des riches, l’injustice de la vie, les mauvais procédés de la concierge, l’infamie du propriétaire, le favoritisme du bureau de bienfaisance et, d’une façon générale, la rosserie universelle.

Jacqueline démêla que sa protégée avait dû faire jadis une carrière brillante de fille de brasserie ; puis, que, l’âge venant, elle avait roulé un peu en dessous des derniers étages de la prostitution ; qu’ensuite elle avait exercé la profession de femme de ménage, et qu’à l’heure actuelle sa maîtresse occupation consistait à mourir de faim.

— Vous n’avez pas de famille ? demanda-t-elle.

— D’la famille ! Là là ! Pour sûr que non ! Qui donc que ça serait ? J’en ai jamais eu, c’est bon pour les riches.

Jacqueline, le cœur gêné par la lumière que jetait une telle parole sur la triste et sale existence de cette créature, repensa les mots dits par Erik Hansen : « Il faut cultiver l’orgueil des pauvres ». L’orgueil de madame Gambier lui parut d’une culture assez hasardeuse quant aux résultats qu’on en pouvait espérer.