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grand nombre d’hommes. Jacqueline respira d’un souffle profond l’air aride et chaud ; émue par ces songes, elle fut pleine de la vaste nostalgie de tant de cœurs inconnus qui ne devaient jamais à cause d’elle précipiter leurs battements ; et il lui parut qu’elle avait froid, dans la brûlure de ce jour d’été.

Elle marchait lentement, distraite de ce qui l’entourait ; pourtant, tout à coup, son attention fut arrêtée par quelqu’un qu’elle revoyait pour la dixième fois peut-être, car, depuis sa sortie de chez les Marken, il la suivait, la dépassait, revenait en arrière, la dépassait encore. C’était un grand garçon dégingandé, à la figure creusée et vive avec des yeux de charbon trop rapprochés de son long nez maigre. Il avait une allure d’activité, d’entrain et de fièvre, et était vêtu d’un de ces costumes comme en adoptent volontiers les étudiants et les jeunes peintres, sculpteurs, graveurs, ouvriers d’art, dans le but d’indiquer qu’ils constituent l’élite audacieuse de la nation. Il frôla Jacqueline en passant une fois de plus et dit :

— Vous êtes bien jolie.

Elle cambra sa taille avec un mouvement de dédain fier qui la grandit, et détendit sa figure en une inattention totale, dans le but de suggérer au personnage quelques doutes quant à la réalité de sa propre existence. Elle marcha plus vite, et pensa à regarder sa montre. Il était trois heures : elle se souvint qu’elle avait promis à Léonora de voir une de ses pauvresses avant de rentrer ; elle avait oublié ce projet dans l’agitation où l’avait mise sa scène avec Marken. Elle fit signe à un fiacre.

Le jeune homme, arrêté à son coude, offrait sa