Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mot du directeur me fixant un rendez-vous. Mon article avait paru. Il était assez bien documenté, je savais la question, on l’avait remarqué. J’ai eu tout de suite deux chroniques de tête par mois. Un an après, je vivais dans un vrai appartement, j’avais des bottines respectables, un domestique et une pièce en répétitions au Vaudeville. Puis j’ai publié Prométhée et je suis devenu quelqu’un avec qui on compte. Dès que je l’ai pu, je me suis fait naturaliser. La vie était facile ; seulement, j’avais des dettes. Excusez-moi de vous parler de cela ; mais c’est ce qu’on me reproche le plus et vous devez l’avoir entendu dire : c’est pourquoi je tiens à m’en expliquer. J’ai fait des dettes aussitôt que cela m’a été possible, et sans le moindre scrupule. Du reste, mon système se poursuit en ceci ; je n’ai jamais emprunté cent francs à un camarade, c’eût été compromettre ma liberté d’action. Quand j’attaque, on sait qu’il n’y a aucun moyen de me faire taire. Les usuriers coûtent plus cher que les amis à ceux qui vont au hasard sans connaître leur chemin : pas à moi ; et ce boulet de la dette que je traîne exaspère mon vouloir et le fortifie. Vous ne pouvez savoir quelle frénétique résolution de vaincre et de réussir on a dans les muscles et dans la pensée, lorsqu’on a passé tout le jour à lutter, à se battre, à s’humilier, devant des misérables qui tiennent dans leurs sales mains la possibilité du désastre où on s’abîmerait irréparablement.

— Mais qui vous dit que vous l’ajournerez éternellement, ce désastre ?

— Ma volonté, madame, mon implacable, mon irrésistible volonté ; l’art aussi avec lequel j’ai vécu. J’ai rendu bien des services à des gens qui savent que