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— Eh bien, ça a duré cinq ans, cette vie-là. Puis j’ai eu mille francs dans ma poche, mille francs gagnés sou par sou aussi honnêtement que si j’eusse été un bon jeune homme timoré. Je suis venu ici, à pied pour ménager ma fortune. J’achetais du pain, je buvais de l’eau et je couchais en plein air : c’était l’été. La route est longue… N’importe : quelles heures magnifiques ! Je n’ai rien vu des paysages du chemin, je regardais la face de mon ambition qui reculait devant moi comme un guide qui montre la voie. Aussitôt arrivé je retrouvais l’admirable camaraderie française et j’avais en deux jours une place de répétiteur. Ensuite, j’ai porté de la copie dans tous les bureaux de rédaction et j’ai eu la veine qu’on en prît dans deux petits journaux. Je touchais cinq francs pour un article, puis peu à peu ça a été mieux. J’ai fait des romans-feuilletons pour un entrepreneur de littérature populaire ; il me payait deux cents francs le volume, j’étais parfaitement heureux. J’avais une chambre propre, je mangeais une fois par jour, j’étais à Paris ! Je ressentais Paris, son cœur, son haleine par toutes mes fibres nerveuses. Quelles nuits j’ai passées seul à marcher dans les rues en respirant cet air qui fait vouloir plus fort ! Un jour, j’ai porté une chronique d’actualité sur un incident politique dans un grand journal où je connaissais un reporter. Ce brave garçon était là, par hasard. Je lui ai donné l’article, il l’a lu ; je vois encore sa figure bonasse pendant qu’il me disait : « Mon petit, ça, c’est épatant. Je vais le donner au secrétaire de la rédaction pour qu’il le passe au patron. » Et le plus singulier, c’est qu’il a fait comme il disait. Le surlendemain, j’ai reçu un