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hôtel borgne pour avoir de quoi dîner. Il me manquait les cinq sous nécessaires pour écrire à Paris et demander à quelqu’un des maîtres qui s’étaient intéressés à moi au cours de mes études de me procurer une place. La seule personne qui m’ait secouru, c’est un vieux domestique qui méprisait en moi le fils de la gitane, mais qui m’avait pourtant dans mon enfance donné le titre auquel j’aurais eu droit si j’avais été légitimé : à cause de cela, il m’a aidé à gagner ma vie… J’avais une âme effroyable et magnifique à ce moment-là, madame ; on n’y eût trouvé en aucune place la paille d’une faiblesse, d’un préjugé ou d’une pitié. J’étais le fauve sûr de ses muscles et travaillé par la faim, une redoutable bête, je vous jure. De plus, c’est alors que l’instinct d’amour, maintenu jusque-là par l’excès de dépense nerveuse du travail intellectuel, s’est éveillé en moi ; ma résolution de conquérir a eu la brutale sauvagerie que le désir de la femme met dans le sang impatient. J’ai fait n’importe quoi en attendant l’occasion ; d’abord, j’ai été secrétaire d’un très grand seigneur. Chez celui-là, j’ai été tout près de voler. Ne vous reculez pas, madame ; vos bijoux sont en parfaite sûreté… J’ai résisté à mon envie, ayant compris qu’une telle maladresse compromettrait mes meilleures chances… Ensuite j’ai été précepteur, rédacteur de bas journaux, courtier d’annonces. J’ai eu une amitié de quelques semaines avec un garçon très intelligent, mais d’esprit dévié, qui fabriquait de faux billets de banque : après avoir bien examiné la question, j’ai refusé de l’aider à les mettre en circulation… J’ai bien fait, il a eu une fin détestable… Partout le hasard