Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les lourdauds d’outre-Rhin ou d’outre-Manche disent que vous êtes légers : les imbéciles ! Vous êtes généreux suprêmement, vous vous donnez par le verbe comme par l’action, et c’est cette faculté de se donner qui fait que vous prenez autrui et que vous gardez votre suprématie partout où l’on pense. J’aime l’âme de France, madame, d’une ferveur incroyable… Lorsque j’ai été rappelé là-bas, je me suis juré de revenir à Paris pour y accomplir mon destin ; ce sera ainsi. À peine m’avait-il revu que mon père s’est tiré une balle dans la tête ; on n’a jamais su la raison d’un tel acte et on l’a attribué au dérangement mental dont il avait donné tant d’autres preuves. Cela a puissamment aidé à faire casser le testament, d’ailleurs irrégulier de tous points, par lequel il me léguait sa fortune. Les sept années passées hors du pays m’avaient fait oublier des quelques personnes qui me connaissaient ; la famille de mon père m’a signifié sa volonté de ne jamais entendre parler de moi ; inutile précaution, car je ne songeais guère à lui demander son appui. Je me suis trouvé, à vingt-deux ans, parfaitement seul, sans un franc. Jusque-là ma vie avait été stricte et austère. J’avais absorbé les sciences et la philosophie comme une éponge sèche boit l’eau, j’avais trop pensé et pas agi. Je savais que les morales sont régionales et les codes transitoires. Je jugeais non pas que la force prime le droit, mais qu’elle est le droit ; l’histoire me l’avait appris, mes premiers contacts avec le réel me l’ont prouvé. Je me sentais apte à beaucoup de choses, mais j’avais les mains vides de moyens, même du moyen de manger. Le surlendemain de la mort de mon père, je déchargeais des malles à la porte d’un