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son mépris sincère et son incompréhension du talent. Jacqueline, d’abord contrainte et pincée, s’amusa du portrait féroce fait avec un air de négligence, et elle finit par rire lorsqu’en quittant la table il dit :

— C’est, voyez-vous, la sorte de personne qui ne saurait vivre plaisamment que si son mari a ce qu’elle intitule « une place » : cela correspond dans son esprit à la faculté de mettre un uniforme et cela oscille entre des possibilités vagues qui vont de la situation de préfet à celle de concierge dans un ministère.

Rentrés au salon, ils quittèrent le ton impersonnel imposé par la présence des gens. Jacqueline s’étonnant qu’avec une clairvoyance comme la sienne il se fût trompé à tel point sur la femme qu’il associait à sa vie, Marken s’expliqua :

— Quand je l’ai connue, j’étais dans un dangereux état d’esprit, excédé de la prodigieuse banalité des actrices, des filles à diamants, et même des autres, de celles d’en bas qui ont par éclairs un style intéressant et l’accent du réel, j’avais besoin d’amour ! Mais ma vue de l’amour était fausse… j’ai mis longtemps à m’en rendre compte. Il me paraissait qu’un homme également passionné par l’idée et l’action, un intellectuel réalisateur comme j’en suis un, devait trouver dans la femme choisie un être neuf de sens, de cœur et de pensée, parfaitement plastique et à qui par son amour et son vouloir il imposerait une forme adéquate à son idéal, et qu’ensuite il pourrait adorer définitivement dans l’orgueil de la création réussie. Elle m’avait paru être cette matière souple et fine avec laquelle je devais pétrir la femme qui serait