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— Retournez là-bas, je vais lire en vous attendant. Il faut savoir ce que trouvera le médecin, dit-elle.

Marken sortit de la pièce, sans rien objecter.

Madame des Moustiers se promenait autour du salon fanfreluché, encombré d’objets disparates. Elle vit quelques belles toiles, alternant avec des cadres surdorés où s’étageaient les portraits des souverains d’Italie, de Verdi, de Garibaldi, de Léonora Duse et d’officiers à moustaches touffues ; d’affreux fauteuils en Aubusson moderne voisinaient ridiculement avec une admirable table Renaissance de l’école lyonnaise ; des étoffes orientales pendillaient autour d’une tapisserie à tons de coquillage, où les membres déliés d’une déesse de Boucher roulaient sur un nuage bleuâtre parmi des roses répandues. Il y avait, dans des vases, des touffes d’herbes marines teintes ; dans d’autres, des bouquets trop gros dont chaque fleur, empalée d’un fil de laiton, avait l’air d’attendre un anniversaire officiel.

En se rappelant la sombre beauté de la chambre qu’elle avait traversée, Jacqueline jugea que ce salon manifestait le génie individuel de madame Marken. Pour s’occuper, elle dénigra en soi-même la jolie Italienne. Comment cet homme avait-il pu un moment aimer une telle femme ? Il devait y avoir en lui des points de vulgarité : c’était cela peut-être, — qu’on ne soupçonnait pas sous son assurance agressive, ses façons de raffiner sur les choses, — qui donnaient à sa personne tant d’inexplicable. Elle refit en esprit les étapes de leurs relations. La première rencontre à Bayreuth, d’abord, l’impression peureuse qu’elle avait eue de la rude ardeur de son regard, les quelques