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sonne d’hier matin ». Il sort très vite et rentre avec une figure d’assassin. De temps en temps, quand je suis seule avec elle, sa grue de femme dit un mot qui fait deviner des ennuis d’argent. Ils me payent mes leçons vingt francs ; et, un jour, elle m’en a emprunté quinze pour régler une facture… Allemanne, le peintre, m’a dit qu’ils ne se maintenaient que soutenus par le syndicat de leurs créanciers.

— Oui, c’est la règle. On pourrait croire que créanciers et débiteurs ont des intérêts antagonistes… Pas du tout. Ils réunissent leur action. Le débiteur n’a qu’une idée : continuer à dépenser et ne jamais payer, les créanciers agissent au mieux pour lui fournir le moyen de faire de nouvelles dupes.

— C’est vrai, et comme c’est singulier ! Pour moi, tout ce que j’ai vu — et j’en ai vu, des gens détruits, par la dette ! — m’a persuadée que les usuriers avaient des cervelles de poètes et un chimérisme à nul autre pareil. L’argent est une sale chose qui détraque le bon sens de ceux dont le métier consiste à le faire travailler. Marken n’a pour toute fortune qu’une dette énorme, et il peut acheter n’importe quoi, pour n’importe quel prix. Si j’essayais d’en faire autant, ça ne réussirait pas.

— Il a du crédit.

— Oui. Est-ce assez fou : le crédit de Marken… Le crédit en soi, du reste ! Quelle extravagance, lorsqu’on le regarde au point de vue de l’absolu, que ce prolongement métaphysique de l’argent qui, dans ce cas-ci et dans beaucoup d’autres, ne s’appuie sur rien. C’est pareil à l’aboutissement de l’amour hors de la réalité, dont vous parliez tout à l’heure.