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d’importance que la nature, l’humanité, tout disparaisse, qu’il n’y ait plus qu’elle au centre du monde déserté ? L’amour, l’exécrable amour, conduit à admettre la dualité de l’être… Il nous fait sentir notre âme non seulement différente de notre corps, mais indépendante de lui, errante, seule et torturée, loin de cette loque qu’elle oublie… Ce n’est que le désir physique, qui engendre ces folies… et pourtant, cet amour égaré finit par abolir la conscience même du désir !… On ne souhaite plus posséder… Cela ne suffirait pas ! Le néant seul serait assez grand pour combler une telle avidité… On veut la mort… Ah ! Léo, si vous aviez accepté mon affection calme et digne de nous deux, nous aurions été sauvés ! Mais non, ce n’était pas possible… Et puis, je vous aimais mal, sans doute, puisqu’il m’a suffi de regarder dans ces yeux, où un peu de musique avait mis son trouble passager, pour me détacher de vous en un instant… Tout de suite je lui ai appartenu irrévocablement. Elle m’a arraché de mon devoir, car je vous ai menti tout à l’heure…

— Pauvre ami ! En quoi avez-vous menti ?

— En disant que j’abandonnais par lassitude ces compagnons d’autrefois. Ce n’est pas vrai ! C’est parce que je veux être libre ; habiter la ville qu’elle habite ; n’avoir la pensée prise par rien d’autre qu’elle… Et tout cela, pour avoir cru qu’il y avait en elle la puissance d’un tel amour, et que peut-être… Mais non, je n’espère rien. Je ne désire pas… Il me suffirait de la voir… de regarder le mouvement de sa vie dans les colorations alternées de son visage et les lueurs mobiles de ses indéchiffrables yeux… Voyez-vous,