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d’idéal, travailler en cherchant humblement l’âme de secrète beauté du réel, qu’est-ce qu’on a de mieux à faire ? Si chacun, enfermé dans un endroit bien clos, s’entêtait à tirer de soi-même l’œuvre d’art, de pensée ou de bonté immédiate dont le potentiel est en lui, la vie deviendrait plus facile pour tous.

— C’est nouveau, ça ! Qu’a-t-il bien pu vous arriver ?

– Rien. Je me suis aperçu que j’avais usé plus de temps et de substance cérébrale, pour redresser les idées des gens dont j’ai partagé les risques sans accepter les chimères, qu’il n’en aurait fallu pour écrire un livre utile… À quoi bon ? Mais à quoi servent les efforts qu’on fait ? Est-ce que vous croyez encore à la perfectibilité de l’homme, vous ? Moi, j’ai renoncé à ça aussi. Nous nous imaginons que nous sommes plus doux à la souffrance que les contemporains d’Othon le Grand… C’est bien possible ! Mais la faculté et les causes de la souffrance ont augmenté plus vite que la bienveillance, et le niveau du bonheur ne s’est pas élevé, ni ne s’élèvera. On n’atteint que les symptômes des maladies morales comme des maladies du corps, on n’atteint pas le processus morbide… car la maladie, c’est la vie. Souffrir, c’est l’irréductible loi… On change le nom de la douleur, on la déplace, on ne la supprime ni ne la diminue.

— Erik ! c’est vous qui dites ces choses !

— Oui, c’est moi ! Exactement ! J’ai cru — j’y crois encore – à un avenir où tout le monde aura du pain et des loisirs… La belle affaire !… Autrefois, manger à sa faim et être libre de développer son intelligence me paraissait suffisant pour ce fameux bonheur général