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tous les incomplets, je m’attarde aux beaux mensonges qui engourdissent — pour un temps — la conscience de la douleur universelle.

— Quand il ne servirait qu’à donner de ces répits-là, un chef-d’œuvre serait encore une bonne action, il me semble.

— Cette élégante banalité cache une très funeste erreur, madame… Le chef-d’œuvre isole dans un plaisir égoïste et d’autant plus dangereux qu’on se persuade qu’il est noble et désintéressé. Ceux qui ont compris — senti surtout que la société est mal faite ont le devoir de plonger sans cesse aux couches profondes du réel, d’en rechercher le contact blessant. Ce n’est qu’en souffrant avec qui souffre qu’on se fait le cœur brûlé d’ardeur qu’il faut pour guérir… L’art est l’île heureuse où on oublie ; un mauvais lieu ! Les adorateurs de la beauté gênent plus la marche en avant que les jouisseurs grossiers, dont les actes, au moins, appellent la réaction.

— Alors pourquoi mettez-vous des photographies de chefs-d’œuvre à votre mur, et ces violettes sur votre table ?

— Parce que je suis un raté au vouloir incertain, qui se cherche lui-même et par bien des routes. Parce que j’ai des nerfs exigeants et un esprit curieux de diversité… Mais ce n’est pas pour entendre la liste de mes faiblesses que vous êtes ici…

— C’est pour parler de moi… me plaindre et partir un peu consolée… Puis-je m’asseoir ?

— Je n’osais vous l’offrir.

— Pourquoi ?

— C’était accepter votre visite comme un incident