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Assise au piano, elle plaquait des accords, ses doigts filèrent en arpèges cinglants. Les sons tombaient sur elle en gouttes chaudes et froides. Sa colère et sa fierté blessée grossirent. Il lui parut qu’elle était ivre.

Léonora, son instrument à l’épaule, la tête pliée, semblait interroger l’âme du violon. Elle pinçait les cordes, s’assurant de leur justesse, serrait les clefs. Elle se redressa, l’archet prêt à l’attaque, souverainement calme et comme grandie par l’attente de la musique qu’elle allait faire jaillir.

La première phrase de la sonate s’éleva. Les sonorités rapprochèrent les deux amies en un dialogue exaltant. Ce chef-d’œuvre profond, où, qu’il l’ait su ou non, Franck a enclos avec tant de désespoir, tant d’ardeur vitale, convenait à l’état de Jacqueline. Le jeu puissant et passionné de Léonora l’entraîna comme une exhortation : il lui sembla que ce qu’elle jouait, c’était sa douleur. À mesure qu’elles allaient, elles se sentaient davantage se rejoindre, s’étreindre, souffrir du même mal. Lorsqu’à la dernière note du finale, — dont Léonora avait enflammé de sa magnifique ardeur la rudesse un peu vulgaire, — elles croisèrent leur regard, elles surent que cette minute les menait au sommet de leur affection.

On applaudissait comme il sied dans le monde : pas trop fort. Des personnes félicitaient Léonora. Marken vint à Jacqueline, qui s’était reculée du piano.

– On entend dans cette sonate la défaite passagère et le triomphe prochain de l’orgueil, dit-il. Quel commentaire, que la musique ! Vous venez de jouer comme si vous racontiez votre histoire.