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… Cet Erik Hansen l’encombrait. Évidemment, ce devait être un démolisseur social, ses propos l’affirmaient assez. Elle l’imagina commettant quelque crime politique, pittoresque et d’ailleurs vague ; puis, peu à peu, elle inventa les détails précis d’une émeute à péripéties héroïques. Erik était arrêté, lui écrivait de sa prison une lettre dont elle refit plusieurs fois le texte, pathétique à force de simplicité, lettre qui ne devait pas lui arriver mais que lisaient des magistrats à face dure, dans le cadre, d’un tragique sec, qu’ont les lieux de justice. Enfin elle le vit sur l’échafaud. Il la regardait. En un tel instant, il n’avait qu’une pensée : elle. Les pâles yeux, couleur de foin, scintillaient dans l’aube incertaine, et par ce regard il lui léguait toute sa vie… Le cœur de Jacqueline battait plus vite ; elle se promenait dans sa lugubre histoire, comme dans un jardin sombre, avivait un détail, ajoutait un incident, si bien prise par ce travail de l’imagination qu’une réelle anxiété lui venait.

La voix de madame d’Audichamp dérangea ces phantasmes. Jacqueline ne se montra pas et resta immobile, le souffle retenu, cachée dans les feuilles du paravent.

— C’est insoutenable, et puis si dangereux ! disait la comtesse d’un ton de fâcherie et de hâte. Du reste, il arrive toujours des choses impossibles dans ce petit salon. J’y ferai percer une baie !… Quels gens mal élevés ! Franchement ils pourraient bien faire ça chez eux.

— Ils ne vous ont donc pas entendue ?

C’était la voix du marquis de Lurcelles.

— On n’entend rien dans ce coin-là… Et puis elle criait comme une aveugle.