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que monsieur d’Audichamp est un imbécile. Mon enquête sur votre famille, votre enfance, m’a même permis — je suis expert à ce genre de travail — de découvrir votre ancienne amitié pour mademoiselle Barozzi, et je me suis fait présenter à elle. Tous ces gens vous racontaient d’une manière différente et d’ailleurs inexacte. Les renseignements fournis par mon observation sont plus certains. J’ai pris l’habitude de n’aller au théâtre que dans les baignoires d’avant-scène d’où on aperçoit les deux tiers de la salle. Vous n’imaginez pas à quelles manœuvres compliquées j’ai recours lorsque, à une première, vous êtes placée de façon que je ne puisse vous apercevoir.

— Tout ceci est fort curieux ! mais je n’en découvre pas le but.

— Le but ? C’est de vous regarder sans attirer votre attention. Pendant que vous n’écoutez pas les pièces drôles, ou que vous vous laissez couler tout entière dans la musique, je lis votre pensée vraie, au centre même de votre distraction. Bons endroits pour observer, les théâtres ! On s’y abandonne. Pendant qu’il se passe quelque chose sur la scène, personne — on le croit du moins — ne songe à regarder la figure qu’on fait. Les femmes vieillissent tout à coup, les hommes laissent voir leurs ennuis. Aux entr’actes, on remet les masques. Je vous ai vue, madame, lorsque vous écoutiez la plainte d’Orphée, pleurer de regret pour le grand amour que vous n’avez pas eu… Un soir où Tristan clamait son mortel désir, vos lèvres ont blêmi, et vous êtes devenue si pâle que j’ai perçu en vous — mieux que si vous l’aviez criée tout haut — la volonté de savoir quel goût a la vie lorsqu’on