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soirs bien des sentiments ingénieux ou fades ; quelqu’un vous a-t-il jamais dit : « Vous êtes ma conscience » ?

— Non, jamais. Heureusement ! C’est une sorte d’emploi dont je n’aimerais pas à courir les risques, étant données les besognes auxquelles les consciences sont astreintes, à l’ordinaire.

— Il faut vous y résigner pourtant, car c’est là le rôle que vous jouez dans ma vie. Depuis le soir où vous m’avez parlé en Allemagne, j’ai subi la pénible nécessité de ne plus avoir une pensée ni faire un acte, sans me demander quel serait votre jugement.

— C’est bien à moi que vous vous adressez ? Il n’y a pas erreur sur la personne ? Vous n’avez pas oublié que nous ne nous connaissons pas ?

— Vous ne me connaissez pas. Mais moi, je vous connais ! Permettez que je m’explique. Je vous ai vue pour la première fois, il y a trois ans, à une première des Français. Vous étiez tout en noir, — comme aujourd’hui, – avec un carcan d’émeraudes au cou. Dans votre loge, il y avait Barrois, Pierre Daussai et la marquise de Moloy. Depuis ce temps, j’ai vécu très près de vous, attendant l’heure de vous aborder. Je me suis intimement lié avec Daussai : ne rougissez pas, il n’y a vraiment pas lieu ; j’ai su en détail ce qu’il appelait son amour pour vous, son pseudo-suicide, et la basse façon dont il s’était conduit en publiant ce livre inepte qu’à part vous et moi personne n’a lu. J’ai fait aussi la connaissance de Barrois, dont j’avais, rien qu’à le regarder dix minutes dans cette loge, deviné la passion. N’ayez pas peur, il n’écoute pas, il est bien trop occupé à prouver