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qu’à la bouche dans l’idée chrétienne et qui y découvrent sans effort ce que la science a mis si longtemps à nous faire accepter : que tous les hommes ont droit à la joie et aussi que la souffrance n’est pas une dégradation, mais un sommet ! Vous dites que le christianisme nous a donné la pitié, oui, et c’est vraiment au moyen âge qu’elle naît de lui. Or, la pitié n’énerve pas comme vous prétendez ; elle est un plus puissant moteur de civilisation que l’intérêt lui-même… Et ce qu’il nous a donné encore, ce christianisme, c’est l’amour ! L’amour surgit du moyen âge tel que jamais le délicat et profond Platon n’aurait su le concevoir… La pitié a poussé les penseurs au fécond travail des sciences libératrices, et l’amour fuse vers les mains des artistes qu’il rend divinement habiles. L’antiquité a un cœur d’homme ; c’est un cœur de femme qui chauffe la pensée moderne ; et ce cœur-là, c’est dans le moyen âge chrétien qu’il bat pour la première fois ses rythmes d’angoisses, de désir, de contraintes et d’espoirs infinis…

— Il semble, riposta M. des Moustiers, que le peuple qui a donné le poète d’Antigone et d’Iphigénie avait tout de même une jolie notion de la femme ! Et quant à la pitié, je pense que Nietzsche avait bien raison de la tenir pour un principe d’avilissement.

— Nietzsche ? Oui !… Et ensuite il est devenu fou pour avoir voulu vaincre sa monstrueuse faculté de tendresse… Même en admettant que nous soyons plus faibles qu’on ne l’était au temps de Socrate, nous sommes, généralement parlant, dans une condition morale supérieure. Au reste, la force individuelle perd de son utilité, dès qu’on a compris la force collective