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devons la forme et l’enrichissement de notre sensibilité.

— Une médiocre acquisition, dit André des Moustiers cessant de causer avec madame Steinweg. Le christianisme ne nous a pas perfectionné l’entendement. Toute la partie spéculative et critique de notre pensée nous vient des Grecs. L’élément judaïque a élevé notre conscience morale, je le veux bien, mais c’est au détriment de notre faculté de joie. Il nous a doté du socialisme, des grèves, et de la pitié !… Encore tous ces embellissements de la vie nous viennent-ils surtout du rationalisme germanique, dont la Réforme nous a empoisonnés. Le moment où on aperçoit dans son plein jeu l’action du christianisme, c’est le moyen âge, ce temps où l’intelligence dort un sommeil de brute, où les hommes ne savent plus que tuer, pleurer, ou tomber en transes hystériques.

— On peut discuter cela, dit Marken d’un ton bref. Le moyen âge est, à mon sens, la période poignante le sublime malaise de croissance de l’humanité. C’est l’heure anxieuse et singulièrement émouvante où se fait le transfert de l’intellectuel au sensible… Vous jugez que tout avait été pensé dans l’Inde, en Égypte et en Grèce ? Vous accorderez bien que tout n’avait pas été senti. L’histoire est tranchée en deux par l’éveil de la vie intérieure, devenue plus forte et plus riche que la vie de l’action. Non, le moyen âge n’est pas un sommeil, c’est un recueillement. Et je ne sais rien qui émeuve davantage que ces ardentes courses vers le rêve des extatiques, des saints candides, à cœurs puissants, épris de pauvreté, joyeux de souffrir, affamés de contemplation, simples êtres plongés jus-