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l’utilité du luxe ; c’est à mon sens une idée régressive. Mais nous ne sommes pas encore au moment où les personnes de votre sorte pourront accepter les raisons que j’aurais à donner. Laissons cela ! Je voudrais seulement fortifier votre courage contre les déceptions que vous rencontrerez. Vous ne pouvez guère que soulager momentanément ; mais, si vous rendez la vie possible à une famille où le père est un ivrogne invétéré, vous mettez les enfants de ce père en état de résister, dans une certaine mesure, à la dégénérescence atavique. Vous leur permettez de choisir entre la mauvaise route et une route un peu meilleure. C’est ce choix-là que la misère interdit. Si votre générosité est cause qu’un certain nombre de jeunes êtres n’aillent au vol et à la prostitution que si leur tendance les y porte, vous aurez fait une œuvre suffisante. Ces enfants de meurt-de-faim qui par vous auront à manger ne seront pas encore des héros d’énergie et de pureté, mais leur santé meilleure leur fera une meilleure mentalité. Ils seront plus aptes à la joie — c’est cela seul qui importe — et leurs enfants, à eux, auront chance d’être un peu mieux débarrassés des tares héréditaires… C’est un long travail auquel vous collaborerez ainsi ; mais cette action qui va se répercutant à travers la race n’a-t-elle pas de quoi tenter ? Et quelle magnifique façon de durer, que d’être une cause lointaine de bonheur et de dignité pour ceux qui viendront, lorsque depuis longtemps nous ne serons plus !… Il m’a semblé, dès la première fois que je vous ai vue, que vous étiez capable de sentir cela ; c’est pourquoi je me permets de vous parler avec une liberté qui vous choque peut-être. Au reste, tout ce que je vous dis là est très