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— Oui… Pour qu’elle soit belle, il faut transformer le principe de la charité, qui est l’égoïsme le plus bas. Cela vous surprend ? Regardez les motifs ! Les meilleures âmes cherchent à s’ôter l’image de la souffrance multiforme et générale en soulageant une ou deux souffrances particulières ; les plus nombreuses n’ont qu’un goût inconscient et cruel de perfectionner la douceur de leur luxe par le contraste des images de misère.

— Vous devez avoir raison. J’ai été souvent déçue, irritée de ne pas réussir immédiatement à changer les désespoirs grognons en allégresse. Je ne pensais qu’à mon plaisir évidemment. Et puis, l’exploitation grossière m’a déconcertée. Ils sont menteurs souvent, et presque toujours de mauvaise foi, les pauvres pauvres !

— Quelle raison auraient-ils d’être bons ? Souffrir sans espoir ni relâche n’élargit pas le cœur. Le bienfait, subi d’abord, requis ensuite par nécessité, dégrade. Il faut pratiquer la charité humblement. Surtout il faut rendre à ces êtres courbés le sentiment d’une responsabilité qui les redresse et ce goût de l’effort qui s’use, quand trop longtemps l’effort a été inutile.

— En somme, vous pensez qu’il n’y a d’intéressante que la souffrance matérielle ?

— Mais, madame, comment la séparer de la souffrance morale ? Mourir de faim et voir les siens dans le cas d’en faire autant, donne des sensations qui, tenez-le pour certain, ne se localisent pas uniquement à l’estomac… En outre, la souffrance matérielle — comme vous la nommez — fait à l’homme le tort suprême, car elle casse en lui les ressorts de l’orgueil.