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pas voir gâterait mon plaisir. Chaque chose nouvelle que je conquiers me fait mieux juger la beauté, vérifier le nombre de celles que je n’ai pas… Je suis un peu indigné lorsque je songe qu’en Chine, par exemple, il y a de braves mandarins qui connaissent des nuances d’émotion que j’ignorerai toujours, parce que je n’ai à mon usage qu’une seule sensibilité. Je crois même que je suis curieux de la douleur. Je le suis de tout ce qui s’éprouve avec intensité. Il m’arrive, lorsque j’entends décrire des souffrances physiques, d’avoir l’impression qu’il y a injustice à ce que cet état du « plus sentir » me soit dénié. Pourtant j’aime mon équilibre et ma force, mais cela aussi est insuffisant. Les hercules de foire sont plus forts que moi. Il y a aussi… bah ! puisque je me raconte !… Il y a aussi le travail qui se fait au cerveau des criminels qui me tente ; je m’irrite à penser que je n’en saurai jamais, — c’est probable au moins, le goût brutal… Il y a même la monstrueuse peur des assassinés… Tout enfin, que vous dire ? tout !… La sensation du bourreau et celle du condamné. J’aimerais ensemble commettre et subir tous les actes de la vie violente… Dans ce théâtre, là-haut, je suis tout le temps tiraillé par l’énervant désir d’être : Wagner qui a créé, Van Dyck qui chante, Richter qui mène les tumultes de l’orchestre, le public entier avec ses émotivités disparates ; et, en même temps, j’ai le tracassin à me dire que, pendant que je suis dans ma stalle, il y a peut-être, de l’autre côté du mur… ou au bout du monde, l’occasion de commettre une action où ma vitalité tout entière s’assouvirait d’un seul coup !… Là, êtes-vous satisfaite enfin ? Vous avez vu le tréfonds de mon absurdité…