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— Comment se fait-il que vous en souffriez même dans les instants où rien ne vous contraint, où vous faites librement les choses que vous avez choisi de faire ?

– Eh bien… Dieu ! que c’est fatigant, l’autodissection ! Ce serait si délicieux de se taire tendrement, dans cette adorable nuit ! Mais votre chère patte me serre le bras avec une si épouvantable résolution de me confesser !… et puis je suis faible de caractère… j’avouerai tout ! Si j’ai l’air inquiet, c’est à cause de ce sentiment bizarre, et qui ne me quitte presque jamais, que la chose que je fais, fût-ce celle qui m’amuse davantage, m’occupe à perdre l’occasion d’une autre chose, bien plus plaisante et que je pourrais exécuter si, au lieu d’être là, j’étais ailleurs…

— Bien ! Je commence à comprendre… N’est-ce pas, rien de ce que vous éprouvez ne donne ce que vous aviez attendu ?

Il prit la main de Jacqueline et, glissant un doigt dans l’ouverture du gant, lui caressa le poignet :

— Presque rien… Mon existence est étroite et j’ai des appétits énormes. Mais, fût-elle mille fois plus vaste, elle ne me satisferait pas encore. Le temps et l’espace m’opposeraient toujours leur irritante résistance… Si j’étais Napoléon, je regretterais de n’être pas Goethe aussi ; si j’étais les deux ensemble, l’idée qu’il y a eu Alexandre et Shakespeare m’agiterait de désir, et, encore bien plus, la certitude qu’avant moi il y aurait eu déjà, qu’après moi il y aurait encore, des poètes et des conquérants. Le génie, la joie, la beauté, l’amour éprouvé par les autres, c’est autant de vols qui me sont faits. Je voudrais tout ! Et si je l’avais, la prescience d’un lendemain que je ne dois