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Siegfried, mais je puis résumer aisément l’impression générale que me fait la musique de Wagner : elle me donne une envie excessive de vous embrasser à fond : Vous verrez ça, dès que nous serons rentrés.

— Mais, si vous avez de telles expressions à des moments où nous sommes seuls, et où vous ne paraissiez même pas savoir que j’existe ?

— Écoutez, Jacquelinette, c’est une rude besogne pour un honnête homme que de rendre compte de tous les mouvements qu’a faits sa physionomie pendant huit ans. Je ne prévoyais pas cette explication ; sans cela, j’aurais vécu un miroir d’une main, un carnet de l’autre, notant mon état d’âme à chaque clignement d’œil, mais…

— Laissons le passé… Il doit vous être facile de répondre au moins à ceci. Pourquoi avez-vous toujours une hâte préoccupée, comme si vous étiez attendu ailleurs, et le regard inquiet ?… Ce regard-là, vous l’avez jusque dans les trains, quand vous savez bien que vous n’avez rien d’autre à faire que de rester assis pour toute la journée.

— Je suis sans doute claustrophobe, je ne vois pas d’autre explication. En y songeant, je m’aperçois que, sitôt enfermé, j’ai une envie maniaque de m’en aller. Le malheur, c’est qu’à constater ses manies on les aggrave. Cette conversation malsaine m’incitera peut-être à me jeter hors du train de Prague demain.

— Pourquoi ce ton irrité ? Ça vous ennuie d’aller à Prague ?

— Non ! mais non ! pas du tout ! Ça m’enchante ; seulement, je suis consterné par ce tic de névrose que vous venez de me révéler.