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dresse limpide. Il lui donnait une saine fierté d’elle-même. Grâce à lui elle avait cru que sa vocation était de comprendre, et elle s’était apaisée. Pouvait-elle deviner le faune que cachait sous ses cheveux blancs l’illustre et grave Barrois dont la vie s’étalait aux yeux, ouverte comme une belle leçon ? Quel dégoût, le jour où il s’était révélé ! Elle en avait encore un frisson sur la peau. Il cessait à peine de dire à propos de Darwin et de son action sur la pensée contemporaine des mots lourds de sens, et fulgurants, elle se sentait portée vers les sommets par cette pensée agile et forte ; tout à coup elle avait été prise dans les grandes pattes brunes ; il avait fallu, et très vite, faire les gestes ridicules par lesquels on se défend… Elle l’avait jeté à la porte, folle de colère. La rancœur de cela restait aussi vive qu’au premier jour. Cette brutale audace du vieillard lui avait infligé l’humiliation de sa faiblesse et fait sentir un instant son infériorité, sa dépendance de l’homme ; c’était cela qu’elle ne pardonnait pas, et qui laissait en elle un point d’irritation sans forme définie, mais d’une acuité extrême.

Comme le suicide du poète la détournait du flirt, la tentative du chimiste l’indisposait contre l’intellectualité en général. Depuis ce fâcheux après-midi qui les avait brouillés, les gros livres et les hypothèses scientifiques tendaient à évoquer les déplaisantes images de ses dentelles arrachées, de ses jupes malmenées et de la laide figure, enlaidie de lubricité, qu’elle avait sentie contre la sienne. À regarder froidement tout cela, elle découvrit un sens nouveau à cette rage débile qu’elle conservait encore. Ce qui s’était soulevé en elle sous l’agression, c’était l’esclave digne