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l’armait de peurs et de vanités préservatrices. Elle arrachait à l’émotion des hommes des mots plus profonds qu’il n’était dans leur destin d’en proférer, elle leur faisait sentir des choses plus vives que ne le comportait leur organisme ; cela rendait ses heures moins lourdes ; mais elle ne songeait pas à s’engager elle-même dans les difficultés de la passion. Elle se trouvait vertueuse, quand simplement elle n’était pas tentée…

André était revenu, il racontait une histoire. Jacqueline répondait par monosyllabes ; elle ne pouvait ni ne voulait s’arracher de la prise forte du passé qui lui faisait la leçon. La minute était décisive pour elle, il fallait achever son enquête. Elle se forçait à reprendre le détail de ces comédies sentimentales où elle avait usé son temps. L’une s’imposa. Le héros était un très jeune homme, poète de son métier, qui se coiffait comme Musset, et dont elle recevait chaque matin des lettres éloquentes qu’ensuite elle avait fait relier en vélin blanc. Elle retrouva les senteurs d’un printemps et d’un automne au cours desquels, ensemble, ils s’étaient promenés dans les quartiers anciens et dans les quartiers déserts de Paris. Elle avait pris un plaisir fin aux désespoirs mêlés d’ironies modern style de ce garçon. Il lui avait baisé les mains en des matins frais, sur la plate-forme d’une des tours de Notre-Dame ; il avait pleuré, un soir rouge et jaune, dans le Luxembourg solitaire. Puis elle s’était désintéressée de lui pour s’occuper d’un mondain qui faisait profession de cruauté amoureuse. Amusée de voir celui-là pris plus foncièrement qu’il n’était dans ses habitudes, ayant fort à faire pour le tenir en respect, elle avait tant négligé le poète que, exaspéré de jalousie et désirant immor-