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dialogues philosophiques

qu’île, se moque de ses théologiens qui lui crient que son Dieu Vitsnou s’est métamorphosé neuf fois pour venir converser avec les hommes, et que, malgré le petit nombre de ses incarnations, il est fort supérieur au dieu Sammonocodom, qui s’est incarné chez les Siamois jusqu’à cinq cent cinquante fois. Notre raïa, qui entend à droite et à gauche cent rêveries de cette espèce, n’a pas de peine à sentir combien une telle religion est impertinente ; mais son esprit, séduit par son cœur pervers, en conclut témérairement qu’il n’y a aucune religion : alors il s’abandonne à toutes les fureurs de son ambition aveugle ; il insulte ses voisins, il les dépouille ; les campagnes sont ravagées, les villes mises en cendres, les peuples égorgés. Les prédicateurs ne lui avaient jamais parlé contre le crime de la guerre ; au contraire, ils avaient fait, en chaire, le panégyrique des destructeurs nommés conquérants ; et ils avaient même arrosé ses drapeaux en cérémonie de l’eau lustrale du Gange. Le vol, le brigandage, tous les excès des plus monstrueuses débauches, toutes les barbaries des assassinats, sont commis alors sans scrupule ; la famine et la contagion achèvent de désoler cette terre abreuvée de sang. Et, cependant, les prédicateurs du voisinage prêchent tranquillement la controverse devant de bonnes vieilles femmes qui, au sortir du sermon, entoureraient leur prochain de fagots allumés, si leur prochain soutenait que Sammonocodom s’est incarné cinq cent quarante-neuf fois, et non pas cinq cent cinquante.